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Compte rendu de la déambulation en mémoire des victimes du drame du Marché de Noël de Strasbourg du 11 décembre 2018

mercredi 15 décembre 2021

Par Georges Yoram Federmann

Pour un devoir de (re)connaissance solidaire et fraternel.

Le 11 décembre dernier, nous avons procédé à une célébration solennelle (la 3ème) en mémoire des victimes du drame du Marche de Noël de Strasbourg du 11 décembre 2018 :

Pascal Verdenne
Anupong Suebsaman, d’origine thaïlandaise
Kamal Naghchband, d’origine afghane
Antonio Megalizzi, d’origine italienne
Bartosz Piotr Orent-Niedzielski, dit Bartek ou Barto Pedro, d’origine polonaise

Et de toutes les personnes touchées par cette tragédie.

Les morts de l’attentat et la place Kléber peu après d’après un article de FR3 Alsace

Cette cérémonie prend la forme d’une déambulation ouverte à toutes et tous, qui débute rue des Orfèvres (1) où Antonio et Bartek ont été abattus. Nous nous arrêtons à chaque lieu où des personnes ont perdu la vie (rue des Grandes Arcades - Kamal, rue du Saumon, rue du Savon- Pascal, Pont St Martin-Anupong) pour y déposer cailloux, fleurs et pensées.

Pour la première fois, des familles des victimes, des survivants et miraculés de cette journée sont venues se recueillir, méditer et témoigner sur place.

Nous sommes allés distribuer notre Appel à la pharmacienne et à l’horloger, tous mobilisés pour soigner les blessés de la rue des Orfèvres. Nous sommes allés saluer les « trois » fromagères après lesquelles le tueur a couru le jour funèbre.

J’avais sur moi le poème d’Erich Mühsam et le livre de Claire Audhuy « L’hiver dure 90 jours »(2)

Je rappelle devant la maman de Bartek et plusieurs de ses amis que l’une de ses dernières actions publiques et politiques a été de s’opposer, le 25 septembre 2018, à la déforestation-dévastation du GCO, justement inauguré par le premier ministre, le jour même de la déambulation : « tu y es élégant chapeau veste grise », précise Claire Audhuy.

Je rappelle que ta maman avait transmis sur Facebook, le 22 décembre 2018, « sa compassion à la famille de l’auteur de cet acte parce qui aussi perdu un fils ».

J’insiste, avec tact, sur l’importance de ne pas nous mettre à la hauteur de la violence de l’agresseur en réclamant vengeance et de cultiver à tout prix le principe d’hospitalité comme réponse à la terreur.

Mustafa, le chauffeur de taxi pris en otage a été notre guide, douloureux et précis, comme en « pilotage automatique ». On a l’impression d’une présence imposante et d’une absence comme s’il était dédoublé : une partie avec nous et une autre définitivement « otage » du 18 décembre 2018. Il tient le registre des morts et des blessés, leur nom, le lieu. Lui n’en revient pas d’être en vie comme si c’était une autre partie de lui-même qui avait survécu et comme si une part de lui avait été suspendue à tout jamais (en tout cas pour très longtemps), dans un effet d’horreur et de sidération, à cette course folle entamée Place du Moulin (3), au moment où l’agresseur monte dans son taxi.

Il a créé une association de victimes qui mutualise la résistance psychique de chacun pour lutter contre l’isolement et le découragement ; favoriser une indemnisation digne et offrir un nom de rue aux 5 victimes.

J’évoque le modèle des Stolpersteine que nous posons depuis le 1 er mai 2019 à Strasbourg (4).

Je rappelle que le Marché de Noël (logique du marché) a rouvert dès le 14 décembre 2018

Pour Strasbourg, solidaire et fraternel.

G Y F

Rajout d’Alain qui était présent :

Nous finissons notre périple en direction du quai des bateliers, où s’achève notre déambulation, en passant par la caserne des pompiers, où l’accueil de notre délégation est bienveillant. Le pompier qui engage le dialogue avec notre groupe rappelle qu’ils ont été les premiers secours à intervenir le 11 décembre 2018. Il accepte de réaliser une photo de groupe avec nous avec le liseré portant le nom des cinq victimes assassinées.
Puis nous rejoignons le kiosque installé par les services de la Ville de Strasbourg face au palais Rohan, pour voir la projection des visages des victimes où figure le bandeau « Strasbourg n’oublie pas l’ensemble des victimes de l’attentat du 11 décembre 2018 ».
Fort moment d’intense émotion partagée avec la maman de Bartek et Mustafa, et avec toutes les personnes venues participer à la déambulation.


1) Une double peine.

A travers nos engagements professionnels et citoyens, nous avons une expérience certaine de l’accompagnement des personnes victimes de violences extrêmes : rescapés des camps, incorporés de force, survivants de la traversée de la Méditerranée, victimes de guerres ou d’attentats.
Souvent, l’on constate que la douleur morale obsédante et envahissante, celle qui isole et désespère, ne s’éteint jamais tout à fait. Un rien, un bruit, une odeur, une image suffit parfois à réactiver la sidération et le sentiment d’incrédulité.
Souvent, la reprise du cours « normal » de la vie est insupportable car l’esprit et la mémoire restent prisonniers du drame, de ce moment irréductiblement imprimé dans le cerveau, le cœur et le ventre, à l’origine de ruminations incessantes, de nuits peuplées de regrets et de cauchemars où l’on tente désespérément de réécrire l’histoire. On se retrouve alors à côté des autres qui « ne peuvent pas comprendre » et comme « en dehors » de soi-même.

Aujourd’hui encore, on imagine mal toutes ces détresses et ces souffrances chez des hommes et des femmes qui offrent l’image d’une vie pratiquement « normale » et qui vont être trop rapidement considérés comme « stabilisés » par les experts psychiatres et, avec eux, par l’ensemble de la société. Pour certains, l’intégration socioprofessionnelle préservée permet de réguler tant bien que mal les souvenirs de l’horreur. Mais pour beaucoup d’autres, déjà vulnérables, le drame précipite des situations de détresse sociale et psychologique généralement mal comprises, sous-évaluées et peu indemnisées.

2) Besoin d’écoute, de considération et de reconnaissance

Que dire de l’isolement dans lequel se trouvent projetées ces victimes quelques mois ou quelques années après leur drame, une fois celui-ci chassé des mémoires par un nouvel événement médiatique ? Ces hommes et ces femmes se retrouvent alors confrontés à l’oubli et à l’indifférence, sorte de répétition de la violence subie et d’une certaine manière de deuxième arrachement des proches perdus.
Témoins privilégiés des confidences de ces personnes, nous sommes convaincus de la nécessité de nous mettre à l’écoute de leur douleur et de leurs expériences, pour les prendre en considération et leur faire une place dans la société. Les victimes de l’attentat du 11 décembre 2018, comme toutes les autres, ont besoin de reconnaissance (matérielle et symbolique), de célébrations collectives qui réaffirment leur inclusion dans la communauté (et auxquelles elles ont parfois tant de mal à participer) et d’une évaluation équitable de leur préjudice matériel et psychique, ce qui est rarement le cas compte tenu de la tendance de nombreux experts à minimiser les conséquences dévastatrices de ces traumatismes.

3) Devoir de connaissance pour la communauté

Au-delà du travail de reconnaissance que nous devons collectivement aux victimes, nous appelons de nos vœux la mise en place d’un travail de connaissance, utile à toute la communauté, pour regarder l’Histoire en face, intégrer ses enseignements, éviter la banalisation des violences tout comme la répétition de l’horreur.
L’attentat du 11 décembre 2018 comme tant d’autres événements violents doit nous amener à cultiver une vigilance de chaque instant à l’égard de toutes les aspirations au rejet de « l’autre », de l’étranger comme des personnes les plus vulnérables, dont nous voyons combien elles marquent l’actualité politique et notre propre campagne présidentielle.

Trois ans après, nous continuons à essayer de comprendre, afin de préserver la liberté d’expression et le devoir d’hospitalité inconditionnel.

G Y Federmann
Claude Latger, enseignante
Jeanne Teboul, enseignante-chercheuse


Celui pour qui le soleil ne brille plus
Il n’a plus besoin d’amour.
Combien de chagrins pleurent pour lui,
Il n’a pas besoin de le savoir.

Hommes, laissez les morts tranquilles
A vous appartient la vie
Chacun a bien assez à faire
A lever le bras et le regard.

Laissez les morts ils sont libres
Dans le sable humide.
Vous, sortez de l’esclavage,
De la misère et de la honte.

Un combat vaudrait-il des lauriers,
Epargnez à la mort ces cadeaux !
Mais reprenez l’épée du mort
Et menez son combat jusqu’à la fin.

Voulez-vous faire quelque chose de bien
Pour ceux que la mort a rencontrés.
Hommes, laissez les morts tranquilles
Et accomplissez leur espoir.

Erich MUHSAM.

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Rue_des_Orf%C3%A8vres_(Strasbourg)
(2) https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/fusillade-a-strasbourg/l-hiver-dure-90-jours-les-poignants-poemes-de-claire-audhuy-a-son-ami-bartek-tue-dans-l-attentat-de-strasbourg_3702705.html
(3) https://www.google.com/search?q=1+place+des+moulins+67000+strasbourg&rlz=1C5CHFA_enFR891FR893&oq=place+des+moulins+strasbourg&aqs=chrome.2.69i57j0i22i30l2.25625j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8
(4) http://www.stolpersteine.lautre.net/wp/