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Tribune dans Le Monde : « Islamo-gauchisme : « Nous, universitaires et chercheurs, demandons avec force la démission de Frédérique Vidal » + article de Roland Pfefferkorn

dimanche 21 février 2021

Le moins qu’on puisse dire c’est que ces nombreux universitaires et chercheurs sont en désaccord avec la Ministre.

La Tribune dans le journal Le Monde suivie de la pétition

« Islamo-gauchisme » : « Nous, universitaires et chercheurs, demandons avec force la démission de Frédérique Vidal »
Tribune
Collectif

Plus de 600 membres du personnel de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont l’économiste Thomas Piketty et la sociologue Dominique Méda, dénoncent, dans une tribune au « Monde », la « chasse aux sorcières » menée selon eux par leur ministre de tutelle.

Publié le 20 février 2021 à 12h29, mis à jour hier à 07h05 Temps de Lecture 3 min.

Tribune. Le mardi 16 février, à ­l’Assemblée ­nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, ­Frédérique Vidal, confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne CNews : le ­lancement d’une « enquête » sur l’« islamo-gauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle ­déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs ­recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion », ainsi que… « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».

Si le propos manque de cohérence, ­l’intention est dévastatrice : il s’agit de ­diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant, et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier, ­puisqu’elle fait planer la menace d’une ­répression intellectuelle. Comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont ­précisément ciblés.
Indigence, indignité, lâcheté

Personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche publics, docteurs et docteures, doctorants et doctorantes des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrême droite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà ­invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’éducation nationale, ­Jean-Michel Blanquer.
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Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien ­qualifier de chasse aux sorcières. La ­violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la ­détresse des étudiants et étudiantes pendant la pandémie, comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une loi de programmation de la recherche [LPR] massivement rejetée par toutes celles et tous ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.

La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous et toutes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoir – sont fermées. Mais, pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la ­recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheurs et chercheuses, c’est la ­ « gangrène » de ­l’« islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.
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Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la ­connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pairs et paires que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous et toutes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans les amphithéâtres, comme dans les laboratoires.
Faire régner le soupçon et la peur

Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheurs et chercheuses, les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pairs de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique des universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique des laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour les activités d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour les étudiants et étudiantes ; c’est l’irresponsabilité de la ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.
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Frédérique Vidal se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.

Premiers signataires  : Pierre-Emmanuel Berche, physicien, université de Rouen ; Clara Biermann, ethnomusicologue, université Paris-VIII ; Michel Bozon, sociologue, INED ; Soraya Guenifi, études nord-américaines, université Paris-I ; Hugo Harari-Kermadec, économiste, université Paris-Saclay ; Caroline Ibos, politiste, université Rennes-II ; Mathilde Larrère, historienne, université Paris-Est Marne-La-Vallée ; Sandra Laugier, philosophe, université Paris-I ; Gilles Martinet, géographe, université Paris-Est Créteil ; Dominique Méda, sociologue, université Paris-Dauphine ; Julie Pagis, sociologue, CNRS ; Anthony Pecqueux, sociologue, CNRS ; Thomas Piketty, économiste, EHESS ; Maud Simonet, sociologue, CNRS ; Richard Walter, ingénieur de recherche, CNRS.

Retrouvez ici la liste complète des signataire

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/20/islamo-gauchisme-nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-frederique-vidal_6070663_3232.html?fbclid=IwAR3kX5p9mQjOSuvUZ55KfYXXjFRaTPNjeoklK-QjxL1yWFUdqgaqWh-zA8I

La pétition :

https://www.wesign.it/fr/science/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-frederique-vidal#sign

Un article de Roland Pfefferkorn, un des signataires strasbourgeois de la tribune.

Texte intégral avec l’autorisation de l’auteur

https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2019-2-page-51.htm