Publié avec l’autorisation de l’auteur
En logo une photo de Dominique VIDAL en 2016
Voici quarante-deux ans que je couvre la conflit israélo-palestinien pour La Presse magazine. Jamais il n’avait atteint aussi longtemps une telle apogée d’horreur : il y aura bientôt un an que, suite à l’opération terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, Tsahal s’est lancée dans une « riposte » non moins terroriste contre la bande de Gaza, ses infrastructures et ses habitants. Prétendre que la première, avec ses 1 040 victimes et 250 otages, justifierait la seconde, avec un bilan évalué par la revue scientifique The Lancet à 186 000 morts et disparus reviendrait à affirmer qu’une vie arabe ne vaut pas une vie juive – mais environ 144 ([1]).
C’est pourquoi, le 26 janvier dernier, la Cour internationale de justice (CIJ), saisie par l’Afrique du Sud selon qui Israël viole la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, a rendu une décision comportant six mesures conservatoires. Israël doit :
- « s’abstenir de commettre des actes entrant dans le champ d’application de la Convention sur le génocide ;
- prévenir l’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
- punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
- prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza ;
- conserver les preuves liées l’accusation de génocide ;
- présenter un rapport à la Cour d’ici un mois sur toutes les mesures prises conformément à cette ordonnance ([2]). »
Cette accusation de génocide ne manque pas d’arguments, à commencer par les crimes de guerre et contre l’Humanité perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 et par l’armée israélienne depuis, en Gaza comme en Cisjordanie. Jamais Tsahal n’en avait commis autant et en aussi grand nombre, comme le l’attestent les textes et les images publiés par nombre ses soldats, fiers de leurs atrocités, sur les réseaux sociaux. À ce catalogue de toutes les horreurs imaginables, les dirigeants militaires et politiques d’Israël répondent en plaidant leur caractère non intentionnel.
Sauf que, cette fois, ils ont eux-mêmes incité leur troupes au massacre. Nul n’a oublié la déclaration du ministre de la Défense Yoav Gallant dès le premier jour de la guerre contre Gaza : « Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence ([3]) » Pour sa part, le général-major Ghassan Allan,coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, a assuré qu’à Gaza ([4]), : « il n’y aura ni électricité ni eau, il n’y aura que destruction. Vous vouliez l’enfer, vous aurez l’enfer »1. Un enfer justifié, selon le ministre des Finances et gouverneur de la Cisjordanie, qui alla jusqu’à affirmer que le blocage de l’aide humanitaire vers la bande de Gaza était « justifié et moral », même si cela pouvait entraîner la mort de 2 millions de civils par la faim, ajoutant toutefois que la communauté internationale ne permettra pas que cela se produise ([5]). Avi Dichter, ministre israélien de l’Agriculture, a appelé à ce que l offensive soit une « Nakba de Gaza » sur la chaîne 12 ([6]). Amihaï Eliyahou, ministre israélien du Patrimoine, a appelé, lui, à larguer une bombe atomique sur Gaza ([7]) Quant au président d’Israël Isaac Herzog, il a blâmé toute la Palestine pour l’attaque du 7 octobre ([8]) – il s’est même déshonoré en signant de la main une bombe qui allait être larguée sur les Gazaouis.
Rien d’étonnant si d’un bout à l’autre de la planète, des manifestations d’une ampleur inédite, des pays arabes à Londres et New-York jusqu’aux villes allemandes, malgré l’interdiction décrétée par le gouvernement Scholz. L’invocation par Berlin de sa « dette » morale à l’égard d’Israël relève d’ailleurs du contre-sens : si les Allemands se veulent les meilleurs amis de l’État juif, alors il s devraient le dissuader de poursuivre sur un chemin belliciste qui le mènera à une catastrophe…
Puis, le 19 juillet, à la demande de l’Assemblée générale de l’ONU, la CIJ déclarait que « l’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes fondamentaux du droit international ».Elle concluait que « la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite » et que « l’État d’Israël est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais » La Cour estimait également que « l’État d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé » et que « l’État d’Israël a l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans le Territoire palestinien occupé ([9]) ». Les juges de la CIJ ont aussi conclu que « tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
Bref, Israël continue à violer – depuis 1967 – l’ensemble des Conventions de Genève toutes les résolutions des Nations unies, ainsi que le droit international et humanitaire. Criminelle, cette attitude comporte aussi, on l’oublie souvent, une dimension suicidaire. Car, s’il est une certitude dans cette impasse sanglante, c’est qu’aucun des deux peuples ne quittera la terre qu’ils estiment leur. Toute violence illicite ne peut que rendre impossible toute issue pacifique et délégitimer ceux qui s’en rend coupable. Fort de l’expérience des attentats-kamikazes durant la Seconde Intifada, le Hamas aurait dû redouter la radicalisation durable que l’opération du 7 octobre provoquerait dans l’opinion israélienne. Et lorsque le secrétaire général de l ’ONU, Antonio Guterres, a qualifié Gaza de « cimetière d’enfants ([10]) », quel dirigeant israélien pouvait ignorer que cette horreur alimenterait la haine des plusieurs générations de Palestiniens contre leur occupant ? [11]
Tel-Aviv connaît d’ores et déjà un isolement sans précédent au sein de l’ONU : lors du dernier vote annuel de l’Assemblée générale sur « le droit à l’autodétermination et à un État du peuple palestinien », le 10 novembre 2023, seuls 4 États ont voté contre avec Israël : les États-Unis, les îles Marshall, la Micronésie et Nauru ([12]). Et Tel-Aviv a connu échec après échec lors de tous les votes intervenus depuis dix mois.
Les crimes perpétrés par Tsahal à Gaza (et en Cisjordanie) depuis le 8 octobre ont également dégradé durablement l’image d’Israël dans les opinions arabes, occidentales et dans celles du Sud. Curieusement le président du CRIF attribue le sursaut d’antisémitisme à l’attaque du 7 octobre ([13]) : comme si la détestation croissante d’Israël n’avait pas pour cause essentielle les atrocités de son armée à Gaza comme en Cisjordanie. Et ceux qui accusent les médias français d’attiser cette détestation négligent cette question : qu’est-ce qui jette de l’huile sur le feu, les crimes de Tsahal ou bien leur compte-rendu ? Plusieurs images, donc plusieurs faits, ne seront sans doute pas oubliées par leurs victimes et par tous ceux qui en ont été les spectateurs, via la vidéo témoignant du viol de prisonniers palestiniens dans la prison jusque-là secrète de Sde Teiman, que des nervis d’extrême droite ont prise d’assaut– impunément –afin de libérer les soldats gardés à vue pout ces abus ([14]).
([1]) Lire https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)01169-3/fulltext
([2]) Lire le texte intégral sur le site d’Amnesty International : amnesty@fr
([3]) Site du Times of Israël, 9 octobre 2024.
[4]) L’Humanité, 2 novembre 2023.
([5]) Site du Times of Israel, 5 août 2024.
([6]) Time, 13 novembre 2023
([7]) Site du Times of Israel, 5 novembre 2023.
([8]à Time, op. cit,
([9])https://unric.org/fr/gaza-la-justice-internationale-se-prononce-sur-la-plainte-pour-genocide/
([10]) Site du Times of Israel, 30 octobre 2023.
([12]) Lire le texte et les résultats du vote : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n23/374/57/pdf/n2337457.pdf
([13]) France 24, JTl de 20 heures : https://www.france.tv/france-5/c-a-vous-la-suite/saison-15/5675043-actes-antisemites-1000-depuis-le-7-octobre-c-a-vous-25-01-2024.html
([14]) Site du Times of Israël, 31 juillet 2024.
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Ce texte, confidentiel, ne peut être transmis sans accord de l’auteur.
Dominique Vidal est un journaliste et essayiste indépendant
Il publiera à la rentrée (avec Philippe Rekacewicz)
« Palestiniens-Israël. Une Histoire visuelle » (Seuil)
« L’heure du Sud » , qu’il a dirigé avec Bertrand Badie (Les Liens qui libèrent)
"-Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron » (Libertalia, nouvelle édition actualisée et augmentée)
Récemment, il avait publié :
« Israël : naissance d’un État » (Bibliothèque de l’Iremmo, L’Harmattan)
« Le monde ne sera plus comme avant, dirigé avec Bertrand Badie (Les liens qui libèrent)
« Portraits d’une France à deux vitesses » avec Samuel Chalom (L’Aube)
« Ma vie pour le judéo-espagnol. Entretien avec Haïm Vidal Sephiha » (Le Bord de l’eau)
* * * * * *
« Elle est à l’horizon. Je m’approche de deux pas, elle s’éloigne de deux pas. J’avance de dix pas et l’horizon s’enfuit dix pas plus loin. J’aurai beau avancer, jamais je ne l’atteindrai. À quoi sert l’utopie ? Elle sert à cela : à cheminer. »
Eduardo Galeano (Las palabras andantes, 1993)
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texte, confidentiel, ne peut être transmis sans accord de l’auteur.
Dominique Vidal est un journaliste et essayiste indépendant
Il publiera à la rentrée (avec Philippe Rekacewicz)
« Palestiniens-Israël. Une Histoire visuelle » (Seuil)
« L’heure du Sud » , qu’il a dirigé avec Bertrand Badie (Les Liens qui libèrent)
« Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron » (Libertalia, nouvelle édition actualisée et augmentée)
Récemment, il avait publié :
« Israël : naissance d’un État » (Bibliothèque de l’Iremmo, L’Harmattan)
« Le monde ne sera plus comme avant, dirigé avec Bertrand Badie (Les liens qui libèrent)
« Portraits d’une France à deux vitesses » avec Samuel Chalom (L’Aube)
« Ma vie pour le judéo-espagnol. Entretien avec Haïm Vidal Sephiha » (Le Bord de l’eau)
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« Elle est à l’horizon. Je m’approche de deux pas, elle s’éloigne de deux pas. J’avance de dix pas et l’horizon s’enfuit dix pas plus loin. J’aurai beau avancer, jamais je ne l’atteindrai. À quoi sert l’utopie ? Elle sert à cela : à cheminer. »
Eduardo Galeano (Las palabras andantes, 1993)
