Khan Yunis, la ville du massacre à Gaza
Au cours des 120 dernières années, le pogrom de Kichinev est devenu un mythe qui a façonné la conscience juive pour toujours. Il n’y a pas un enfant en Israël qui n’en ait pas entendu parler. Mais les émeutes de Kichinev font partie d’une journée ordinaire pour les habitants de Gaza.
« Lève-toi et va dans la ville de l’abattage ; / Dans sa cour, passe ton chemin ; / Là, de ta propre main, touche, et des yeux de ta tête / Contemple sur l’arbre, sur la pierre, sur la clôture, sur l’argile murale / Le sang éclaboussé et la cervelle desséchée des morts. (extrait de « In the City of Slaughter », Haim Nahman Bialik)
Le dimanche de Pâques 1903, des émeutes contre les Juifs ont éclaté à Kishinev (aujourd’hui Chisinau, la capitale de la Moldavie). La presse russe n’en a pas parlé. Le New York Times l’a fait, en long et en large.
Le président américain Theodore Roosevelt a rencontré une délégation juive au lendemain des émeutes et a exprimé sa profonde sympathie pour les victimes. Les journaux américains publient en première page des photographies de victimes enveloppées dans un linceul. Le terme russe « pogrom » est né. Léon Tolstoï et Maxime Gorki dénoncent les émeutes et accusent le gouvernement russe.
Le futur « poète national » Haïm Nahman Bialik écrit rapidement un court poème, « Sur le massacre », et se rend d’Odessa à Kichinev dans le cadre d’une délégation organisée par l’historien Simon Dubnow. Il reste cinq semaines dans la ville, assiste au procès d’une poignée d’émeutiers condamnés à quelques années de prison et dresse la liste des victimes.
À son retour, il publie « In the City of Slaughter », que Ze’ev Jabotinsky traduit en russe.
Theodor Herzl prépare un projet de patrie juive en Afrique de l’Est, plus précisément en Ouganda. Au cours des 120 années suivantes, le pogrom de Kishinev est devenu un mythe qui a façonné la conscience juive pour toujours. Il n’y a pas un enfant en Israël qui n’en ait pas entendu parler.
Les mots de Bialik dans « On the Slaughter » - « Une juste vengeance pour le sang d’un petit enfant / Satan n’a pas encore conçu » ou « Et s’il y a une justice, qu’elle se manifeste immédiatement ! » ont été inscrits dans la langue hébraïque, toujours utilisée pour décrire les victimes juives et israéliennes.
Ce pogrom vicieux a duré trois jours. Il a commencé le dimanche de Pâques, coïncidant avec le dernier jour de la Pâque dans la Diaspora, qui, comme cette année, tombait le 19 avril. Des centaines de maisons juives ont été pillées et détruites. L’évêque local a béni les émeutiers, qui ont violé, jeté des bébés par de hautes fenêtres, enfoncé des clous dans la tête de leurs victimes et les ont rendues aveugles. Bialik découvre des membres mutilés dans un potager et une étable, devenue un abattoir humain.
Combien de personnes ont été tuées lors de ces émeutes ? 49. Presque le même nombre que celui des personnes tuées dans la bande de Gaza vendredi. Une journée de routine à Gaza. Elles ont été tuées par des frappes aériennes et des tirs d’artillerie israéliens, dans le cadre de l’exercice d’autodéfense des Juifs.
Les journaux israéliens, tout comme les journaux russes il y a 120 ans, n’ont pratiquement rien rapporté de tout cela. Les « évêques » locaux, nos rabbins et enseignants de la loi juive, la halakha, n’ont pas cessé de bénir les tueurs, les bombardiers et les artilleurs, comme à Kishinev en 1903.
Des Palestiniens prient à côté du corps d’une personne tuée lors d’une frappe israélienne, à l’hôpital indonésien de Beit Lahia, vendredi.Credit : Mahmoud Issa/REUTERS
Parmi les victimes de la journée de vendredi à Gaza, on compte une femme enceinte et de nombreux enfants. Quatre d’entre eux ont été tués lors d’une frappe aérienne sur un salon de coiffure à Khan Yunis. Cinq membres d’une même famille ont été tués à la périphérie de cette ville. Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux montre les corps de bébés, noirs, brûlés, allongés sur des draps blancs dans un hôpital. Je n’ai jamais vu de photos aussi horribles de ma vie.
Contrairement à Kishinev, les bébés ne sont pas jetés par les fenêtres à Gaza. Mais ils sont brûlés à mort. Quelle personne morale oserait prétendre que brûler des bébés vivants dans un camp de réfugiés situé dans une zone supposée « sûre » est moins choquant que de les jeter par les fenêtres ? Quel hypocrite oserait dire que les soldats des FDI « ne veulent pas » tuer des bébés, après avoir déjà tué des milliers de bébés et d’enfants en bas âge ?
Ahmed Dalloul pleure le corps de sa fille de 4 ans, Siwar, tuée lors d’une frappe aérienne israélienne, à la morgue de l’hôpital Al-Aqsa à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, jeudi.Credit : Abdel Kareem Hana,AP
Les émeutes de Kichinev font partie d’une journée ordinaire pour l’armée commandée par Eyal Zamir à Gaza ; les horreurs du 7 octobre y sont comme un mois ordinaire.
Bialik ne peut pas se rendre dans la ville des massacres de Gaza. Israël ne permet à aucun journaliste de faire le travail qui a été fait par notre poète national pour documenter les horreurs et écrire « La ville du massacre » 2.
S’il le pouvait, il écrirait sûrement, dans la veine de la dernière strophe de « In the City of Slaughter » : « Que fais-tu ici, ô fils de l’homme ? / Lève-toi, fuis vers le désert ! / Porte sur toi la coupe de l’affliction ! / Prends ton âme, déchire-la en plusieurs lambeaux ! / Avec une rage impuissante, ton cœur se déforme ! / Répands tes larmes sur les rochers stériles ! / Et envoie ton cri amer dans la tempête ! ». (« Complete Poetic Works of Hayyim Nahman Bialik », édité par Israel Efros, New York, 1948).
