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Une bonne nouvelle : L’apprenti boulanger guinéen de Besançon régularisé - Article de Mediapart

jeudi 14 janvier 2021

Article de Mediapart

L’apprenti boulanger guinéen de Besançon régularisé


14 JANVIER 2021 PAR NEJMA BRAHIM

Stéphane Ravacley, le boulanger de Besançon en grève de la faim depuis plus d’une semaine pour protester contre l’expulsion de son apprenti guinéen, a assuré jeudi à l’AFP que la situation du jeune homme avait été régularisée, après une rencontre à la préfecture de la Haute-Saône.

Stéphane Ravacley, le boulanger de Besançon en grève de la faim depuis plus d’une semaine pour protester contre l’expulsion de son apprenti guinéen, a assuré jeudi à l’AFP que la situation du jeune homme avait été régularisée, après une rencontre à la préfecture de la Haute-Saône.

La préfecture haute-saônoise a confirmé dans un communiqué que le jeune homme avait été « admis au séjour en France après l’examen de nouvelles pièces apportées à son dossier », qui ont notamment permis « d’établir formellement son état civil, en lien avec les autorités consulaires de la République de Guinée ».

La préfète Fabienne Balussou a ainsi décidé de délivrer un titre de séjour à Laye Fodé Traoré, prenant également en compte « son parcours d’intégration jusqu’alors exemplaire » et « ses perspectives d’insertion professionnelle », à savoir une formation complète auprès du boulanger bisontin qui s’est proposé de l’embaucher ensuite.
Stéphane Ravacley et Laye Fodé Traoré, qui est âgé de 18 ans, ont été reçus jeudi par la préfecture de Haute-Saône.

À l’annonce de sa régularisation, Laye a « pratiquement pleuré », a confié son maître d’apprentissage. « Il a remercié son patron, ses éducatrices et l’État français », a ajouté M. Ravacley.
« C’est une grande joie, une victoire. Maintenant, on va aussi se battre pour les autres » qui sont dans le même cas ailleurs en France, a-t-il ajouté.

Pris en charge en France en tant que mineur isolé, Laye Fodé Traoré n’avait pas obtenu de titre de séjour à sa majorité. La préfecture considérait jusqu’à présent que les documents d’identité du jeune homme n’étaient pas authentiques.
Mais leur validation récente par l’ambassade de Guinée, qui « lui a délivré un acte de naissance », et la mobilisation en faveur de Laye Fodé Traoré ont mené la préfecture à revoir sa position, selon M. Ravacley.

Stéphane Ravacley avait entamé une grève de la faim il y a dix jours pour protester contre l’expulsion de son apprenti. Il avait également lancé une pétition qui avait recueilli mardi plus de 220 000 signatures.

Très faible après avoir perdu huit kilos, l’artisan avait été pris en charge aux urgences mardi après un malaise. Il a annoncé après la régularisation de Laye qu’il allait recommencer à s’alimenter normalement.

Nous republions ci-dessous l’article diffusé une première fois le 5 janvier.

Dimanche 3 janvier, Stéphane Ravacley a décidé de ne plus s’alimenter. Le gérant de la Huche à pain, une boulangerie de Besançon (Doubs) employant huit personnes, se dit « prêt à tout » pour garder Laye Fodé Traoréiné, son apprenti, dans son équipe. Ce dernier, de nationalité guinéenne, est sous le coup d’une expulsion du territoire français.

« Je veux que ce soit percutant. Je veux montrer qu’il y a quelqu’un derrière lui pour le soutenir. On ne fait pas n’importe quoi avec des gamins ! », s’exclame le responsable de la boulangerie, dans une colère à peine dissimulée. Une pétition en ligne, adressée entre autres à la préfecture de Haute-Saône et au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, a récolté, au 5 janvier, plus de 110 000 signatures de soutien.

Le 25 novembre dernier à Vereux (Haute-Saône), le centre éducatif et professionnel (CEP) des Chennevières, où est placé Laye Fodé Traoréiné, reçoit la visite des forces de l’ordre qui lui signifient de quitter sous un mois l’entreprise qui l’accueille en apprentissage.

Laye Fodé Traoréiné, apprenti boulanger à la Huche à pain à Besançon, risque d’être expulsé du territoire français. © La Huche à pain.

Le Guinéen, qui a atteint sa majorité cette année, fait depuis l’objet d’un refus de délivrance de titre de séjour et d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), assortis d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) d’une durée d’un an.
« C’est le packaging complet, déplore son avocate Me Dravigny. Les autorités se basent sur un rapport de la police aux frontières (PAF) disant que ses documents d’état civil présentent la caractéristique de faux en écriture publique. Or les observations relevées par la PAF ne permettent pas de dire que ce sont des faux. »
En réalité, explique l’avocate, les documents d’identité de Laye [un jugement supplétif, un extrait d’acte de naissance et une carte d’identité consulaire – ndlr] ne comportent pas une double légalisation. « Ils ont été légalisés en Guinée mais pas en France. À la rigueur, on pourrait dire qu’ils ne sont pas recevables, mais on ne peut pas qualifier ces documents de faux. »

Contactée par Mediapart, la préfecture de Haute-Saône, à l’origine de l’OQTF et de l’IRTF, n’a pas donné suite à l’heure où nous publions cet article.

Adolescent, Laye quitte la Guinée, où il n’a jamais connu sa famille biologique, à bord d’un canot gonflable depuis la Libye. Il rejoint l’Italie à l’âge de 16 ans, puis le sud de la France, à Nîmes, où une association d’aide aux migrants le redirige vers le CEP des Chennevières. Reconnu mineur non accompagné (MNA dans le jargon), il est pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance dès 2018.

« Il nous a rejoints en septembre 2019 et avait 16 ans et demi, se souvient Stéphane Ravacley. À l’époque, j’avais alerté la presse sur le fait qu’on ne trouvait pas assez d’employés et d’ouvriers dans la branche boulangerie/pâtisserie. On avait reçu une quarantaine de candidatures d’exilés ! »

Laye lui fait vite une « très bonne impression » en se montrant rapidement volontaire. « J’ai signé tout de suite avec lui. Ça s’est toujours bien passé, il fait preuve d’une grande écoute et a la faculté de faire ce qu’on lui dit et de le faire bien. Il commence à 2 ou 3 heures du matin et n’arrive jamais en retard. Il a de très bons résultats au CFA et si on le laisse continuer, il aura son CAP, c’est évident. C’est d’autant plus rageant. »

Une problématique « récurrente » pour les jeunes Guinéens

Son contrat d’apprentissage, d’une durée de deux ans, doit aller jusqu’à l’été 2021. Pour Me Dravigny, cette problématique est assez « récurrente » pour les jeunes Guinéens. « Cela se base souvent sur des rapports de la PAF qui sont sujets à caution. Ces jeunes sont reconnus mineurs par le département et jouent le jeu sur le plan de l’insertion, les employeurs sont très contents car ils recrutent dans des métiers tendus, mais tout s’arrête pour un problème d’état civil. »

« On les protège à 16 ans, on les fout en l’air à 18. Ou bien on les laisse en mer et on regarde ailleurs, ou bien on les protège jusqu’au bout », clame Stéphane Ravacley, qui recrutait pour la première fois un MNA et souligne le degré de difficulté à embaucher un étranger malgré le manque de main-d’œuvre criant dans sa branche. « Sans Laye, on me retire un tiers de mon fournil. Ce n’est pas possible ! »

Et l’avocate d’ajouter que l’article 47 du Code civil pose une présomption d’authenticité des documents d’état civil réalisés à l’étranger. « Charge à l’administration de renverser cette présomption, d’où les rapports de la PAF. Mais à mon sens, il serait préférable de saisir automatiquement les autorités du pays mieux à même de se prononcer sur l’authenticité des documents », suggère-t-elle, estimant qu’il y a une « méconnaissance » du Code civil guinéen.

Si l’attaque perpétrée par un « faux » mineur pakistanais devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, vendredi 25 septembre 2020, a relancé le débat sur les « faux » MNA, conduisant le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, à vouloir « régler le problème », les jeunes Guinéens se déclarant mineurs semblent être confrontés, depuis quelque temps, à une politique du soupçon systématique.

« Il y aurait une sorte de fraude généralisée sur les papiers guinéens. Ils sont considérés faux d’office, et dans le cas où un jeune a un passeport, on trouve bizarre qu’il se promène avec », note Clémentine Bret, référente MNA chez Médecins du Monde. Un point que confirme Me Dravigny. « Cela fait déjà un moment qu’on constate que c’est compliqué pour les Guinéens », assure-t-elle, expliquant que la jurisprudence ne cesse de se resserrer.

« Avant, on considérait qu’un document non légalisé était quand même recevable, il y avait une prise en compte des documents d’état civil. Aujourd’hui, on voit que ça n’a pas forcément de valeur. Parfois, même légalisés, ils ne suffisent pas. Avant, le passeport était vu comme LE sésame, maintenant quand il y en a un, on entend dire qu’il a été fait sur la base de faux documents… »

À Fabrègues (Hérault), un autre Guinéen travaillant dans une boulangerie risque de perdre son emploi et d’être expulsé du territoire français, rapportait France 3 Régions mi-décembre. Il ne s’agit cette fois pas d’un MNA mais d’un demandeur d’asile âgé de 24 ans, dont la requête a été rejetée par l’Ofpra, l’office chargé d’étudier les demandes d’asile, en octobre dernier.

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Souleymane a pourtant été embauché en CDI un an plus tôt et a « fait toutes ses preuves » au sein de l’entreprise selon Romuald Adriansen, responsable production chez Pain et partage : « Il est seul à son poste, forme d’autres personnes et se montre consciencieux dans son travail. Il serait dommage de perdre un élément comme lui », confie-t-il à Mediapart.

Après un référé déposé au tribunal administratif de Besançon fin novembre, rejeté par le juge le 11 décembre, l’avocate de Laye espère désormais pouvoir obtenir une légalisation des documents d’état civil de son client en France. « Laye doit se rendre à l’ambassade de Guinée cette semaine mais nous ne sommes pas sûrs qu’elle accueille du public en ce moment. Nous devons faire vite », alerte Me Dravigny.

Censé quitter l’entreprise le 25 décembre, soit un mois après la visite des forces de l’ordre au centre éducatif et professionnel, Laye aurait obtenu une semaine supplémentaire de la part des autorités selon son employeur, qui craint de le voir placé en centre de rétention administrative (CRA). Depuis le 2 janvier, Laye a dû cesser de travailler à la Huche à pain. À ce jour, le jeune homme est toujours logé au CEP des Chennevières et Stéphane Ravacley poursuit sa grève de la faim.