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Le 31 mars le MRAP rend hommage à Camille BLANC, maire d’Evian, assassiné par l’OAS le 31 mars 1961

vendredi 1er avril 2022

Le discours de François Sauterey, co-président du MRAP :

Ici, il y a 60 ans se terminait une page sombre de notre histoire : la fin de la guerre d’Algérie.
A l’époque, le mot guerre n’était pas prononcé, le pouvoir l’appelait : « opération de maintien de l’ordre ».
Aujourd’hui, cette expression a une résonance étrange du fait des « opérations spéciales » qui se déroulent en Ukraine.

Camille Blanc, militant de la SFIO, fût de ceux qui œuvrèrent, pour trouver à cette guerre, une issue pacifique. Né en 1912, résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale et membre du Comité de libération, il fût élu Maire d’Evian en 1945 ; poste qu’il conserva jusqu’à son assassinat en 1961.

Il n’a pas été le seul à s’engager, puisque bien d’autres ont œuvré, chacun à leur manière, pour obtenir, in fine, l’indépendance de l’Algérie.

C’est ici, dans l’ancien hôtel « Beau Rivage », qui appartenait à la famille de Camille Blanc, que ce dernier avait proposé d’accueillir les négociateurs d’un cessez-le-feu.

Ces négociations allaient aboutir, un an après son assassinat, le 19 mars 1962. Cessez-le-feu dont nous avons commémoré le 60ème anniversaire il y a une dizaine de jours.

Mais parlons dates.
18 mars 1962 : signature des Accords d’Evian,
19 mars 1962 : cessez-le-feu proclamé en Algérie,
1er juillet 1962 : référendum d’autodétermination du Peuple algérien,
5 juillet 1962 : Indépendance de l’Algérie.
Ici, à Evian, Camille Blanc fût sauvagement assassiné par l’OAS le 31 mars 1961.
L’OAS - Organisation de l’Armée Secrète- qui ne lui pardonnait pas d’avoir tenté d’apporter sa pierre à la construction de cette Paix !

Cette « guerre », celle qui ne disait jamais son nom, s’est aussi déroulée sur le territoire métropolitain.
Les militants pacifistes ou indépendantistes ont subi une répression féroce, allant jusqu’à l’enlèvement le 11 juin 1957, la torture et l’assassinat à Alger, de Maurice Audin, un mathématicien de 25 ans, communiste, engagé auprès des Algériens.

De nombreuses « ratonnades », meurtres et assassinats de F.M.A. c’est-à-dire de Français Musulman d’Algérie - comme on les appelait alors- ont eu lieu en France.
A Metz, en juillet 1961, après l’échec du « putsch des Généraux » à Alger le 21 avril 1961, des « paras » - des militaires parachutistes - rapatriés en France, ont été quasiment encouragés à commettre de véritables exactions. A minima, la hiérarchie, à cette époque, a fermé les yeux.
A Paris, le 17 octobre de la même année, eu lieu le massacre dit de « Charonne » où plusieurs centaines d’Algériens ont été tuées jusque dans la cour de la Préfecture de Police de Paris. Pire encore, jetés dans la Seine, parfois vivants, parfois ligotés.
Ces « meurtres » ont été rendus possibles par Maurice Papon, Préfet de sinistre mémoire, avec l’accord, vraisemblablement de Roger Frey son Ministre de l’Intérieur, et de Michel Debré, alors Premier Ministre.

Ces massacres ont été « invisibilisés » par le drame du 8 février 1962.
Ces jours là, la population française se mobilisait massivement pour la Paix, contre les attentats de l’OAS et contre l’envoi de jeunes hommes qui faisaient leur service militaire obligatoire, les « conscrits ».
Un attentat de l’OAS contre le ministre André Malraux a fait une victime collatérale, Delphine Renard, fillette de 4 ans qui jouait dans sa chambre. Elle en perdit la vue. En réaction, une manifestation a été organisée à Paris le 8 février 1962. Cette manifestation, sans surprise, fût interdite par la Préfecture, mais maintenue par les organisateurs.
La police a chargé avec une rare violence au métro Charonne. Une fois encore cette répression a été ordonnée par le même trio : Maurice Papon, Roger Frey, Michel Debré.
Le bilan sera de 9 morts et plusieurs centaines de blessés.
L’enterrement de ces victimes rassembla une foule énorme, une foule gigantesque que certains évaluèrent à près de un million.

Mais la raison l’emporta.
La raison l’emporte toujours.
Grace à eux, qui eurent le courage de se mobiliser, comme Camille Blanc, les négociations s’accélérèrent.
La Paix arriva, enfin presque.

Tout n’était pas encore terminé. En Algérie, l’OAS a tué encore après juillet 1962, des centaines d’Algériens, semant la terreur et forçant les « Européens d’Algérie » à partir, en mettant en œuvre le slogan « La valise ou le cercueil », pratiquant par suite une politique dite de la terre brûlée : « Ils auront peut-être l’Algérie, mais tout y sera détruit ».
La France a rapatrié une partie, mais une partie seulement, des « supplétifs ». C’est-à-dire ces Harkis, qui avaient rejoint les rangs de l’armée française, parfois volontairement, parfois contraints et forcés.
Pour ceux qui choisir de rester ou furent purement et simplement abandonnés par les autorités françaises, ils eurent à subir « la vengeance des vainqueurs ».
Quant à ceux qui furent ramené en France, ce fût pour être parqués dans des camps, comme celui de Rivesaltes.

Là encore, nous sommes tentés de faire le triste rapprochement avec la manière dont la France mais également les États-Unis d’Amérique ont traité leurs « aides » en Afghanistan.
Durant cette période particulière, le MRAP, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, a pris toute sa place dans ce combat pour la Paix et, bien évidemment, contre toutes formes de racisme. C’est son objet.

Le MRAP avec d’autres a participé à des blocages de trains de conscrits en partance pour l’Algérie.

Dès le 15 octobre, le MRAP avait dénoncé la fameuse « circulaire Papon » qui instaurait un « couvre-feu » pour les FMA, couvre-feu qui devait provoquer la manifestation du 17 octobre 1961.
Le 18 octobre 1961, soit dès le lendemain, il faut rappeler que le MRAP, avec le PSU, parti politique de gauche de l’époque, ont été les seuls a dénoncer, avec force, le massacre de la nuit précédente.
Aujourd’hui que dire ?
Cette période sombre et trouble a laissé comme une onde qui se propage à travers le temps et l’espace.
Les années passent, laissant de brûlantes traces de ressentiments.
Passent les jours, passent les années, les traumas que font naître la haine, le racisme, l’esprit de vengeance demeurent.

Les réflexes anti-arabes sont toujours là.
Bien sûr, on n’entend plus, ces injures ignobles, « bicot », « melon », « crouille », ces mots horribles qui désignaient d’une manière si méprisante, les « Arabes » d’alors.
Le racisme, cette bête immonde, nous le savons bien, est encore là, sous nos yeux.
Et tue encore et toujours, comme à Ychoux, département des Landes, et comme Adama.
On ne compte plus les tags, les graffs qui salissent les mosquées de France ; les agressions contre des passants qui ont, pour leur malheur, « la mauvaise couleur de peau ».

Faut-il intervenir dans le débat politique de ces prochaines élections ?
Sans être des juges, en restant des citoyens, force est de constater que plusieurs candidats ou candidates n’hésitent pas à caresser les racistes dans le sens du vent, voire de souffler sur les braises de la haine.
Au sein du MRAP, nous sommes persuadés que le racisme, qui inclus aussi cette haine anti-arabe, mais aussi anti-noire, provient directement de notre passé colonial ; de notre incapacité à regarder notre Histoire dans les yeux.
Certes, des avancées ont été faites, notamment avec l’accès aux archives relatives à ces périodes. Pour autant, certaines des dites archives sont encore protégées par le « Secret Défense ».
Le Président de la République, Emmanuel Macron, s’était engagé sur le « libre accès » à ces données historiques ; données fondamentales pour tous les « chercheurs », mais aussi pour la Recherche avec un grand R.
Il reste encore de ces « verrous » qu’il faut faire sauter pour comprendre notre commune histoire, la petite comme la grande. Puisque cette histoire, c’est la notre.
Après que le Président François Hollande ait fait un premier pas essentiel, le Président Macron a établi la responsabilité du seul Préfet de Police Papon. Le MRAP continue d’exiger la reconnaissance par le gouvernement du crime d’État commis ce 17 octobre 1961.

Le racisme est toujours là, celui qui gangrène tout, jusqu’à cette campagne électorale. Le MRAP le combat, comme il a toujours combattu toutes les formes de racisme.
Il est temps de construire une mémoire partagée,
Une mémoire apaisée
Une mémoire qui confronte nos histoires,
Une mémoire pour l’Amitié entre les Peuples.

Mais pour cela il nous faut des outils.
Le MRAP est engagé dans la construction d’un grand Musée National de l’Histoire du Colonialisme, engagé dans cette bataille au long court.
Déjà nous avons le soutien de nombreux historiens, de sociologues, de politiques de tous les horizons.
L’idée progresse.
Nous espérons que ce Musée verra bientôt le jour.
Nos rêves sont faits pour être réalisés.
Le MRAP l’a déjà construit sur le papier.
Le MRAP, cette ONG, est une vielle dame, une organisation désormais ancienne, née en 1949.

Nos Pères fondateurs n’imaginaient sans doute pas que 70 après, leur combat, notre combat serait d’une telle d’actualité.

Jeunesse de ce Pays, de tous les Pays,
Il est temps de se lever.
Ce combat contre le racisme, sous toutes ses formes, mérite notre engagement à tous.
Camille Blanc, assurément, s’en serait revendiqué.

François Sauterey, co-président du MRAP,
A Evian, le 31 mars 2022