C’est l’association Culture de Palestine qui a organisé la projection du film Broken suivi d’un débat au cinéma municipal Le Cosmos avec le soutien de 11 autres organisations dont le comité de Strasbourg du MRAP.
Environ 80 personnes, dont Madame Marina Lafay, conseillère municipale déléguée, représentant la Maire de Strasbourg, étaient venues voir ce film de M. Mohammed ALATAN, produit en 2018 par M. Stefan ZIEGLER présent ce soir. Il est ancien membre de l’Unité de Surveillance du Mur créée en 2010 par l’UNRWA. Il se consacre à la vulgarisation du Droit International par le cinéma.
Nous avons eu en quelque sorte un cours interactif de Droit International
Le documentaire porte sur le mur construit en 2002 par Israël en Cisjordanie, du côté palestinien de la « ligne verte » qui avec 700 km est quatre fois plus long et deux fois plus haut que le mur de Berlin. Le documentaire montre que le mur pourrit la vie des Palestiniens. On y voit aussi pourquoi, par qui et comment la Cour Internationale de Justice a été saisie.
A la fin du documentaire, longtemps après l’avis de la Cour en 2004, vers 2018, certains membres de la Cour d’alors livrent leurs appréciations.
L’Assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution ES-10/14 adoptée le 8 décembre 2003 lors de sa 10ème session extraordinaire d’urgence, avait décidé de soumettre à la Cour International de Justice (CIJ), pour avis consultatif, la question suivante : « Quelles sont en droit les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est.
Dans son avis de 2004, la CIJ qui exerce la fonction de tribunal mondial a déclaré (https://www.icj-cij.org/fr/affaire/131) que la construction du mur ainsi que le régime qui lui était associé étaient contraires au droit international.
La Cour a en outre rappelé l’obligation qu’avaient les Etats parties à la quatrième convention de Genève, dans le respect de la Charte et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention. « Concernant l’ONU, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, la Cour a enfin estimé qu’ils devaient tenir compte de l’avis consultatif rendu en examinant quelles nouvelles mesures devaient être prises afin de mettre un terme à la situation illicite en question ».
Les Etats parties au Statut de la Cour peuvent « à n’importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d’ordre juridique » (art. 36, par. 2, du Statut de la Cour - https://www.icj-cij.org/fr/statut ). Cela pose des problèmes car Israël n’a pas signé les statuts de la CIJ ni d’ailleurs les Etats Unis, la Russie, la Chine.
La Cour disait le Droit international concernant le mur.
Pour Me Liliane GLOCK du Barreau de Nancy présente à la tribune, cette affaire est extrêmement intéressante, quelque part en béton. La décision est gravée dans le marbre. Il n’y a pas de discussion. Ce mur est construit sur la terre palestinienne. La décision de la CIJ est un point d’accroche, un point de départ. Il est impossible qu’elle se perde dans la mémoire.
Me Grégory THUAN dit Dieudonné du Barreau de Strasbourg a lui aussi montré son importance par ses conséquences dans d’autres affaires qui ont suivi. La Cour européenne des Droits de l’Homme s’est appuyée notamment sur cet avis pour dire en 2020 que l’appel au Boycott des produits israéliens, sans violence, sans contrainte, est reconnu comme liberté d’expression dans tous les pays du Conseil de l’Europe. (Avec Me Auguste Comte il était l’un des avocats des boycotteurs de Mulhouse qui avaient saisi la dite Cour).
M. Joël BEDDA, juriste à Al-Haq, la plus grande organisation de défense des droits des Palestiniens, était en visioconférence mais techniquement avec un discours haché il était très peu audible sauf à la fin. Il a dit qu’Israël empêche les représentants des Cours internationales d’entrer en Israël et dans les territoires occupés. C’est un des faits qui rend difficile le travail d’Al-Haq pour les plaintes au niveau international.
Me Gilles DEVERS du Barreau de Lyon en visioconférence a déclaré que le Droit international est efficace comme avec les criminels. Il a une certaine efficacité mais on ne connait pas de loi qui empêche les braquages de banques… de bloquer les criminels.
Il a dit qu’aujourd’hui est une grande journée pour la Droit international. L’avis de la CIJ (80 pages) a été rendu avec un raisonnement dense pour dire, au-delà même de ce qu’on pouvait imaginer au moment où la requête a été préparée. Elle a déclaré l’illégalité totale de l’occupation militaire israélienne, y compris à Gaza, que les solutions d’avenir c’est de quitter les territoires et d’indemniser les Palestiniens, qu’il y a une situation d’apartheid. Etant donné qu’Israël est dans une situation totalement illégale, il n’a pas le droit à la légitime défense. Ce sont des pans entiers de l’argumentaire israélien et occidental qui s’écroulent. Alors qu’il y a une semaine encore le fait de dire « Israël-apartheid » vous pouviez être poursuivi pour apologie ou antisémitisme.
Aujourd’hui c’est le CIJ qui reconnait que c’est une situation d’apartheid international. Le progrès est tout à fait considérable…
Il faut commencer par imprimer l’avis rendu par la Cour, le comprendre et ensuite voir comment l’appliquer
Le 2ème point : c’est que les décisions de Justice sont appliquées et quand elles ne sont pas appliquées, c’est qu’il y a un consensus pour ne pas les appliquer. L’avis de 2004 qui disait ce qu’il y avait à faire n’a pas été appliquée car la direction palestinienne s’est laissée complétement enfumée par des Européens et les Etats Unis qui disaient qu’il ne faut pas faire ce genre de choses, être gentils et appliquer les accords d’Oslo, un traité bilatéral. Si vous gagnez un procès et que vous n’arrivez pas à appliquer le jugement, il ne faut pas accuser la Justice mais les responsables politiques qui ne font rien.
La décision de la CIJ de ce vendredi se range à la suite des procédures que nous avons engagées le 9 novembre auprès de la Cour Pénale Internationale.
La procédure des mandats d’arrêts a été bloquée par le Royaume Uni. C’est ce qui fait notre bataille juridique actuelle. Le gouvernement sortant conservateur du Royaume Uni avait dit que le peuple palestinien n’existe pas, que l’Etat palestinien n’existe pas et que donc il n’y a pas lieu de saisir la Cour. Les travaillistes avaient dit lors de la campagne électorale qu’ils reconnaitraient dans les 15 jours l’Etat de Palestine. Or le gouvernement travailliste devant la CIJ a défendu Netanyahou en reprenant les mêmes arguments se fondant sur les accords d’Oslo. La bataille va avoir lieu. La Cour Internationale de Justice dit aujourd’hui que les accords d’Oslo ne remettent pas en cause la 4ème convention de Genève… Aujourd’hui j’ai un fort soutien de la CIJ qui va faire exploser l’argumentaire du Royaume Uni. Les avis de la CIJ sont extrêmement utiles.
A une question posée depuis la salle, il répond « Vous confondez ce que vous appelez le Droit et l’ordre international à la dictature des Etats Unis. Les Etats Unis ne sont pas le Droit international. Il faut défendre le Droit international et ne peut pas reprendre la propagande des Etats Unis qui disent qu’il ne sert à rien.
Me Grégory THUAN pense que l’avis de la CIJ, dont il n’a pas encore lu les 90 pages environ, met les pieds dans le plat. Nous avons les textes internationaux (4ème convention de Genève, le protocole, le statut de Rome…), disant que toute colonisation est possiblement constitutive d’un crime contre l’humanité. La question est : tous les colons qui participent à cette colonisation, ont-ils commis un crime contre l’humanité ? La question en Droit est assez ardue. Je pense que non car les textes ont été construits contre les décideurs politiques qui ont mis en place cette politique de colonisation. Il y aussi la complicité de ces crimes internationaux. Là je pense qu’il peut y avoir beaucoup de conséquences pénales individuelles dans l’urbanisme, le bâtiment, la vente de produits et de marchandises.
Me Gilles DEVERS dit que l’article sur le transfert de populations fait de ces transferts un délit. Nous allons commencer par nous occuper des responsables politiques. Mais à terme un Français qui va s’installer à Jérusalem en toute connaissance de cause pourra en passant en France se faire cueillir par un comité spécial. Les Etats ne pourront plus commercer avec des entreprises installées dans les colonies. Le Boycott Désinvestissement Sanctions est réaffirmé ce soir et un juge français sera tenu d’appliquer la décision de la CIJ.
Un intervenant dit qu’il faut mettre de l’espoir dans la Justice internationale, que c’est à nous en tant que citoyens de faire pression sur les Hommes politiques. Me Grégory THUAN approuve.
Me Gilles DEVERS nous informe qu’il a reçu 750 dossiers de plainte d’habitants de Gaza suite à l’agression israélienne après le 7 octobre 2023 et qu’il va en discuter avec la CPI, alors qu’auparavant c’était impossible.
Le peuple palestinien revient depuis 3 ans dans le Droit international. En 1948 avec la déclaration d’indépendance de Ben Gourion et la proclamation unilatérale de l’Etat Israël, reconnu très rapidement par le club des impérialistes de l’époque (c’était avant les décolonisations), les Palestiniens étaient en partie devenus israéliens, Jordaniens…
La Justice est rapide sur ces questions. La CIJ écrit que le fait d’avoir signé les accords d’Oslo ne vous a pas privés de l’accès au Droit international.
Me Grégory THUAN dit qu’il existe depuis 2017 une loi en France sur le devoir de vigilance qui permet d’engager la responsabilité civile des grandes entreprises et de leurs filiales sur leur impact sur les droits de l’Homme qui opèrent en dehors du territoire national et européen. Sont donc concernées les entreprises qui participent à la colonisation.
Il y a toute une myriade d’effets grâce au Droit international.
Il est fait pour régler les problèmes entre Etats et existait déjà avant la création de la CPI. Mais il n’y a pas de policier avec la casquette Cour Internationale de Justice qui va aller frapper à la porte d’Israël. De même pour la CPI. La responsabilité repose sur les épaules de chaque Etat membre qui compose les Nations Unies, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne. Toute décision de justice prise au niveau international peut être exécutée par les Etats pris individuellement ou récemment par le système de sanctions appliquées par le Conseil de l’Union européenne qui représente les chefs d’Etat et les gouvernements de l’UE. C’est le cas contre la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine. Un dossier a été déposé chez Joseph Borel, le représentant de la Politique Européenne de Sécurité et des relations internationales. Le dossier est en train d’être traité. Il est pris extrêmement au sérieux par l’Union européenne. On va voir ce que cela donne avec la nouvelle composition du Parlement européen. Le système de sanctions peut cibler des individus quels qu’ils soient, dirigeants politiques et citoyens israéliens et les personnes morales, notamment les sociétés pour les taper au portefeuille.
L’AFPS réfléchit pour attaquer l’accord essentiellement commercial entre Israël et L’UE car Israël n’applique pas une partie des clauses de cet accord portant sur les valeurs communes, la liberté d’expression, le droit international, le droit européen, des Nations Unies. Au niveau juridique il faut essayer auprès de la commission européenne des droits de l’Homme qui ne nécessite pas l’unanimité, contrairement au Conseil de l’Union européenne.
Me Grégory THUAN a dit aussi que la clé se trouve aussi en Israël où il y a une opposition face au régime extrêmement agressif. C’est compliqué mais c’est aussi avec eux qu’il faudra compter.
Stefan ZIEGLER a constaté que les diplomates qu’il a vus à son bureau en Cisjordanie ne connaissent pas grand-chose des conventions de Genève, alors qu’ils écrivent des rapports pour les capitales du monde.
Il souhaite que dans leur éducation les jeunes de plus de 14 ans aient des notions de Droit international, sur ce qu’il rend possible de faire. Jusqu’à présent il n’y a rien. Les films qu’il produit peuvent être utiles.
Certes des personnes sont parties au cours du débat qui s’est terminé vers 22h30.
Mais le public présent a vivement apprécié la soirée.
Le documentaire Broken est en vente au prix de 20 € sous forme de DVD chez « Advocacy Productions sarl » Place de Grenus 4 - 1201 Genève – Suisse
info chez advocacyproductions.ch
www.advocacyproductions.ch
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Compte rendu de AZ
