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Les Alévis manifestent à Strasbourg pour exiger une enquête sur le massacre de Maras en Turquie

samedi 16 décembre 2017

Ce samedi 300 Kurdes ont manifesté à Strasbourg pour dénoncer des massacres en Turquie
L’article des DNA :
http://www.dna.fr/actualite/2017/12/16/300-kurdes-manifestents-a-strasbourg?utm_source=direct&utm_medium=newsletter&utm_campaign=les-points-forts-de-l-actualite-sur-dna.fr

Depuis est paru l’article de l’Humanité ci-dessous

MONDE
TURQUIE
ALÉVIS
Les Alévis manifestent à Strasbourg pour exiger une enquête sur le massacre de Maras en Turquie
JEAN-JACQUES RÉGIBIER
LUNDI, 18 DÉCEMBRE, 2017
HUMANITE.FR

Le massacre des Alévis de Maras en 1978, aurait fait environ 500 morts. Photo : Jean-Jacques Régibier
Le massacre des Alévis de Maras en 1978, aurait fait environ 500 morts. Photo : Jean-Jacques Régibier
Plusieurs centaines de personnes de la communauté alévie ont manifesté samedi à Strasbourg, pour demander au Conseil de l’Europe de mettre en place une commission d’enquête sur les massacres qui ont eu lieu en 1978 dans la ville de Maras en Turquie, faisant des centaines de victimes.
C’est l’un des massacres de masse les plus occultés de la fin du XXème siècle. Et il continuerait à l’être si la communauté alévie ne s’obstinait pas à exiger que toute la lumière soit faite sur un crime de masse commis dans des conditions particulièrement atroces, en pleine République turque, il y a moins de 40 ans, et dont les responsabilités et les commanditaires n’ont toujours pas été clairement désignés.
Les faits se sont déroulés en décembre 1978 à Maras, une grande ville d’Anatolie, au sud-est de la Turquie ( plus de 500 000 habitants aujourd’hui ), qui est également préfecture de province. Du 19 au 26 décembre, à la suite de l’assassinat de deux enseignants dans un lycée technique de la ville, des groupes armés dont il est établi qu’ils étaient proches du parti d’extrême droite ultra-nationaliste, le MHP, se livrent à des massacres contre les familles alevies dont les maisons et les commerces ont été au préalable marqués d’une croix peinte, de manière à désigner qui seront les victimes.
Ayse Tras avait 20 ans à l’époque, c’était une Alévie de Maras. Dans la manifestation de Strasbourg, elle porte une grande photo de son frère Ali, assassiné durant le massacre, et raconte :
« Dans la rue, nous nous sommes retrouvées dans la fusillade avec un groupe de jeunes filles. Nous sommes allées nous cacher dans la maison mais des hommes armés sont entrés. Ils nous ont accusé de cacher des armes, on a juré que non, ils nous ont insultées et frappées. »
Ayse Tras explique ensuite comment, partant à la recherche de son frère qui avait disparu, elle découvre dans les rues de la ville des scènes de barbarie qui seront confirmées par de nombreux témoins. Corps de femmes enceintes éventrées et enfants arrachés, corps d’hommes mutilés ou décapités. « C’est parce que je cherchais mon frère que j’ai vu tout cela, » dit-elle, rappelant, ce que toutes les sources attestent, que l’armée turque a mis 3 jours avant d’intervenir.

Le premier ministre turc de l’époque, Bulent Ecevit, avait qualifié ces évènements de « catastrophe », parlant d’un « génocide à l’indonésienne, » sans qu’on sache quelle part ont pris les services secrets turcs dans la planification de ce massacre. Sans que l’on ne sache non plus quel rôle a pu jouer la CIA par l’intermédiaire de groupes armés comme le « Gladio », qu’elle avait mis en place, dans un contexte de turquisation et d’islamisation du pays, mais aussi de chasse aux communistes.

Une communauté menacée
Le sociologue alevi Aziz Tung est l’un de ceux qui a le plus enquêté sur le massacre de Maras, mais aussi sur d’autres crimes contre les Alevis commis à la même époque. Il explique que dans les années 1970, dans un contexte où se développe le mouvement national kurde, avec notamment la création du PKK, tout est fait par le pouvoir turc pour empêcher l’union des mouvements progressistes kurde et alévis. Descendante lointaine de courants religieux pré-islamistes, sans être à proprement parler une religion, mais plutôt une philosophie, la culture traditionnelle alévie est en effet marquée – comme les mouvements kurdes – par l’humanisme, la tolérance, l’égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité. Ce qui lui valu d’être réprimée à de très nombreuses reprises, dès le 16ème siècle, au sein de l’empire ottoman. « Ce sont les mêmes raisons qui lui valent d’être réprimée aujourd’hui, » juge Aziz Tung, « la communauté alévie est sans arrêt menacée, toujours sur ses gardes, jamais tranquille, » ajoute-t-il.

L’ancien député européen, Francis Wurtz, a rappelé comment le massacre de Maras avait été « froidement planifié », les victimes ayant été préalablement désignées aux tueurs, « une façon de signifier aux Alévis qu’ils étaient indésirables dans leur propre pays. »

La Turquie déjà condamnée

En 2016, saisie par 203 Turcs alévis, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour violation au droit de liberté de religion et pour discrimination envers les Alévis. Les juges européens ont demandé aux autorités turques de mettre les fidèles de cette confession sur le même pied d’égalité que ceux qui pratiquent l’islam, rappelant que l’Alévisme « constitue une conviction religieuse profondément enracinée dans la société et l’histoire turque, » et qu’elle a droit à ce titre à une personnalité juridique, et aux financements publics, comme l’islam qui est presque entièrement subventionné par l’Etat.

On estime de 12 à 15 millions de personnes, la population alévie en Turquie. Dans un pays qui compte 70 millions d’habitants, il s’agit donc d’une communauté importante, très largement ancrée à gauche d’un point de vue politique.
Le massacre de Maras en 1978, aurait fait environ 500 morts. Aujourd’hui, les corps de toutes les victimes n’ont pas encore été retrouvés, et certains de leurs biens, maisons ou commerces, sont toujours usurpés par des auteurs du massacre. Mais surtout, aucune poursuite sérieuse n’a été engagée contre les usurpateurs et aucun des responsables du massacre, rappelle Aziz Tung, n’a été arrêté, ni jugé.
C’est ce que sont venus réclamer les manifestants samedi, à Strasbourg : une véritable commission spéciale du Conseil de l’Europe ( dont la Turquie fait partie ), qui puisse mener une enquête approfondie sur les responsables et les commanditaires du massacre, et qui permette également de retrouver les corps des victimes et de rendre leurs biens aux propriétaires alévis spoliés.

Dans une situation où la répression s’exerce à nouveau tous azimuts en Turquie, la mise en place d’une telle commission vaudrait comme une mise en garde à Erdogan pour qu’il respecte la démocratie et entreprenne enfin le travail de mémoire qu’il refuse pour l’instant catégoriquement, pour les Alévis, comme pour les Arméniens.
Jean-Jacques Régibier

L’appel pour rappel :
https://mrap-strasbourg.org/Appel-a-manifester-avec-les-Alevis-contre-des-massacres-en-Turquie-ce-samedi