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Mourir pour des papiers ?

dimanche 18 juillet 2021

Solidarité avec les 470 sans papiers en grève de la faim en Belgique depuis près de 2 mois

Pour contribuer au soutien des sans papiers en lutte en Belgique, vous pouvez envoyer des mails au premier ministre belge Alexander De Croo, à la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden et au secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration Sammy Mahdien.

Destinataires :
contact chez premier.be,
kabinet.verlinden chez ibz.fgov.be,
info.mahdi chez mahdi.fed.be,


Ci-dessous un article de Mediapart :
15 juil. 2021 Par Les invités de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/150721/mourir-pour-des-papiers?fbclid=IwAR0XfJxoM_9pUhTdCvw-HgknC3AEkfBZWQF_yYH1s02Q6S_tda1ia6wLfG8

« Réduits à n’être que des corps par leur exploitation économique, ils ont fait de leurs organismes le dernier lieu de la lutte pour la reconnaissance de leur statut légal ». À Bruxelles, où plus de 450 personnes sans papiers ont entamé une grève de la faim pour leur régularisation, la situation devient critique. De nombreuses personnalités, dont Ken Loach, Judith Butler, Noam Chomsky ou encore Christiane Taubira appellent le gouvernement belge à renouer urgemment le dialogue avec les grévistes de la faim.

Farida, 51 ans, est née en Belgique. Toute sa famille, sauf elle, a la nationalité belge. Farida a un travail. Elle fait le ménage dans des bureaux et des bâtiments publics, pour 6 à 8€ de l’heure. Sa dernière demande de régularisation a été rejetée et elle est désormais sous le coup d’un ordre de quitter le territoire.

Kiran a fui la guerre civile au Népal pour introduire une demande d’asile en Belgique, il y a 16 ans. Alors que sa procédure de demande d’asile était en cours, il a signé un contrat de travail. Il était alors payé 10€ de l’heure. Après que sa demande ait été déboutée, son salaire est tombé à 2.50€ de l’heure. Sa fille, née en Belgique, a aujourd’hui 5 ans et parle le néerlandais à l’école. La famille a introduit cinq demandes de régularisation, toutes rejetées.

Mohamed vit en Belgique depuis 17 ans. Il garde précieusement une photo de l’inauguration d’un de ses chantiers. « J’ai fait les chantiers de services publics (...) On a creusé des tunnels [de métro] pour faciliter l’accès entre les 4 lignes. C’était vraiment dur et ce qui reste gravé dans ma mémoire, c’est qu’il n’y avait pas assez d’oxygène », se rappelle-t-il. Mohamed travaillait pour un sous-traitant « sans assurance, sans rien ». « Si on avait de la chance, il nous payait 3 euros de l’heure », assure-t-il.

Farida, Kiran et Mohamed font partie des 475 sans-papiers rassemblés au sein d’un collectif qui occupe trois lieux bruxellois (deux universités et une église) et qui, depuis plus de 50 jours, se sont mis en grève de la faim.

Après avoir épuisé les registres classiques de l’action politique (interpellations, manifestations, etc.) et poussés à bout par l’extrême précarité dans laquelle ils ont dû traverser la période de la pandémie, ces hommes et ces femmes se sont tournés vers un ultime recours  : rendre visible dans leur chair la violence dont ils sont les victimes au quotidien.

Réduits à n’être que des corps par leur exploitation économique, ils ont fait de leurs organismes le dernier lieu de la lutte pour la reconnaissance de leur statut légal. D’après les médecins qui les accompagnent, cette grève de la faim est entrée dans la phase dite «  critique  » il y a deux semaines. Leurs organismes, ayant brulé tous les sucres et graisses, consomment désormais ses propres organes, dont le cœur. Le danger de mort devient alors réel et immédiat.

Les revendications des sans-papiers en lutte sont simples  : une régularisation des grévistes de la faim dans un premier temps et la mise à l’agenda politique de critères clairs et permanents de régularisation des sans-papiers, sous la supervision d’une commission indépendante, dans un second temps.

Le secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration, le démocrate-chrétien Sammy Mahdi, refuse d’ouvrir la moindre négociation sur ces bases. Il justifie la rigidité de sa position politique par un contre-argument massue. Ces sans-papiers ont reçu de la part de l’Etat un ordre de quitter le territoire, auquel ils n’ont pas obéi. Ils seraient donc les seuls responsables de leur situation.

Ce formalisme juridique suffit-il à justifier le déni de tout statut juridique aux sans-papiers ?

Il permet surtout de passer sous silence le fait que la Belgique (et l’Union Européenne de façon plus large) produit l’irrégularité des migrants.

Il y a 150.000 personnes qui vivent et travaillent en Belgique sans papiers. En Europe, une étude du Pew Center estime qu’ils sont entre 3.9 et 4.8 millions dans cette situation. Cette irrégularité massive a été engendrée par une batterie de politiques publiques délibérées. Les États européens ont collectivement et drastiquement réduit les voies d’accès légales à l’immigration.

Ils ont encouragé des pratiques restrictives et arbitraires au sein de leurs administrations, durcissant notamment les conditions de renouvellement des titres de séjour temporaires – ce qui a fait basculer nombre de migrants dans l’irrégularité. Ils ont externalisé la tâche délicate du contrôle des frontières, la confiant à des États tiers peu soucieux du bien-être des migrants comme la Turquie ou la Libye.

Enfin, ils ont créé des marchés du travail segmentés entre travailleurs avec et sans papiers, qui encouragent le « dumping social » dans les secteurs économiques impossibles à délocaliser (construction, horeca ou soins à la personne) et favorisent l’exploitation d’une main d’œuvre précarisée.

Ce formalisme juridique méconnaît aussi la singularité de l’histoire récente des politiques migratoires belges.

À intervalles réguliers, la Belgique redécouvre la présence d’un nombre important de sans-papiers sur son territoire et prend conscience que cette situation est intenable à long terme. La Belgique procède alors à des campagnes temporaires de régularisation (comme en 1999-2000 puis en 2009-2010) en jurant à chaque reprise que, cette fois-ci, c’est la dernière. La France ou l’Espagne ont depuis longtemps conclu que cette gestion erratique de la question des sans-papiers était contre-productive. Ils ont préféré établir des critères clairs et permanents (tels que la durée du séjour, des attaches durables, une situation d’emploi) en vertu desquels ils régularisent de façon continue et sur base individuelle les personnes qui rentrent dans ces critères.

Le gouvernement belge – comme nombre d’autres gouvernements à travers l’Europe - se rend coupable d’une lourde faute politique. Il est tétanisé par la montée en puissance de la droite nationaliste. Il cherche à s’en distinguer en se réclamant d’une politique migratoire « ferme mais humaine ».

Ce qu’il signifie par là, c’est qu’il applique une version édulcorée du programme migratoire des partis nationalistes tout en manipulant une rhétorique qui rend hommage aux droits de l’homme et aux normes du droit international.

Une telle approche est un double échec. Elle donne raison aux nationalistes sur le fond tout en souillant les valeurs universelles qu’elle invoque.

Pour lutter contre l’extrême droite, on ne coopte pas son programme. Pour lutter contre l’extrême-droite, on conteste ses idées dans le discours comme dans les actes.

Pour toutes ces raisons, nous invitons urgemment le gouvernement belge à renouer le dialogue avec les grévistes de la faim en vue de leur régularisation et à ouvrir une vrai débat politique sur leur revendication de critères clairs et permanents de régularisation.

Signatures :

Ken Loach réalisateur
Luc et Jean-Pierre Dardenne réalisateurs
Noam Chomsky Philosophe
Roger Waters Musicien
Christiane Taubira Auteure
Agnès Jaoui réalisatrice
Agnès B Artiste
Brian Eno Musicien
Costa Gavras réalisateur
Michele Ray Gavras productrice
Saule Chanteur
Susan George Auteure
Dominique Gros Documentariste
Radu Mihaileanu réalisateur
Cédric Herrou activiste
Dominique Blanc Actrice
Judith Butler Philosophe
Irène Jacob Actrice
Marianne Denicourt Actrice
André Wilms Actrice
Yanis Varoufakis Universitaire
Jean Ziegler Universitaire
Ai Wei Wei réalisateur
Peter Gabriel Musicien
Bouli Lanners réalisateur
Virginie Ledoyen Actrice
Natacha Regnier actrice
Liam Cunningham acteur
Jeanne Balibar actrice
Marius Gilbert epidemiologiste
Emmanuel André epidemiologiste
Robert Guediguian réalisateur
Françoise Tulkens ancien juge, vice président and vice-presidente de la Cour européenne des droits de l’Homme
Annemie Schaus rectrice de l’ULB
Aki Kaurismaki Réalisateur
Mike Leigh Réalisateur
Etienne Balibar Philosophe
Philippe Geluck Artiste
Barbara Hendricks, cantatrice

Universitaires :

Eric Fassin,
Joan W. Scott
Pierre Galand
Andrea Rea
Magalie Bessone
Sebastien Chauvin
Agnès Chetaille
David Paternotte
Massimo Prearo
Mieke Verloo
Anne-Sophie Crosetti
Isabelle Stengers
Valérie Amiraux
Justine Lacroix
Valérie Piette
Maïté Maskens
Achille Mbembé
Isabelle Rorive, Equality Law Clinic
Leila Belkhir Doctor
Nadia Fadil
Phillip Ayoub
Sarah Bracke
Annalisa Casini
Karen Celis
Gianmaria Colpani
Tommy De Ganck
Michiel De Proost
Louise de Morati
Alexandre Donnen
Rosanna Gangemi
Nathalie Grandjean
Ahmed Hamila
Ov Cristian Norocel
Claire Pelgrims
Bruno Perreau
Geoffrey Pleyers
Laurence Roudart
Massimo Prearo
Anne Morelli
Carlo Ruzza
Surya Monro
Sahar Aurore Saeidnia
Maria Martin de Almagro
Jean-Yves Pranchère
Emanuela Lombardo
Lynne Segal
Olivier Klein
Aurélie Aromatario
Sonia Corrêa
Julie Carlier
Hassan Bousetta
Tivadar Vervoort
Sara Cosemans
Florian Trauner
Shannon Damery
Marjolein Schepers
Valerie De Craene
Ken Plummer
Dirk Jacobs
Marco Martiniello
David Jamar
Rachida Lamrabet Author and jurist
Francine Bolle
Elsa Mescoli
Joren Janssens
Tom Claes
Brunilda Pali
Pascal Debruyne
Virginie Guiraudon
Donatella della Porta
Marie Goransson
Clément Dessy
Mariska Jung
Christine Schaut
Joëlle Smets
Katrien De Graeve
Caroline Closon
Vincent Engel
Jean-Jacques Heirwegh
Sarah Demart
Aude Merlin
Robin Vanbesien
Ruth Loos
Myra Marx Ferree
Kenneth Bertrams
Caroline Ibos
Cecile Piret
Jean Puissant
Martin Deleixhe
Iman Lechkar
Daniel Zamora
Abdellali Hajjat
Claude Calame
Christian Vandermotten
Jean Vogel
Thomas Berns
Mona Claro
Patrizia Zanoni
Henk de Smaele
Muriel Sacco
Sandrine Detandt
Joël Noret
Jouke Huijzer
Patricia Mélotte
Nellie Konijnendijk
Sigrid Vertommen
Mylène Botbol-Baum
Anya Topolski
Aymar Nyenyezi Bisoka
Claire Martinus
Benedikte Zitouni
Aurélie Bouvart
Wannes Dupont

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