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Pour la poursuite de l’interprétariat présentiel, en médecine de ville, pour nos patients d’origine étrangère. Tribune des 120 médecins utilisateurs de l’interprétariat présentiel

lundi 9 novembre 2020

Imaginerait-on faire, aujourd’hui, l’examen d’un patient sourd sans l’aide d’un interprète en langue des signes ? Etre écouté (à défaut d’être entendu) constitue le vœu que tout patient forme quand il présente une plainte et formule une demande parfois difficile à exprimer, surtout dans le cadre intime de la consultation médicale et/ou psychiatrique.

Depuis 2007, ce qui est aujourd’hui l’ARS Grand Est et l’URPS des médecins libéraux portent et financent un dispositif qui permet la présence d’un interprète professionnel, via l’association Migrations Santé Alsace, lors des consultations de médecine générale ou spécialisées dans les villes de Strasbourg et Mulhouse. Cet outil est précieux pour la prise en charge de certains patients qui maitrisent peu ou pas le français. En effet, comme le recommande la Haute Autorité de Santé, « l’interprétariat linguistique dans le domaine de la santé garantit, d’une part, aux patients, les moyens de communication leur permettant de bénéficier d’un égal accès aux droits, à la prévention et aux soins de manière autonome et, d’autre part, aux professionnels, les moyens d’assurer une prise en charge respectueuse du droit à l’information, du consentement libre et éclairé du patient et du secret médical » (HAS 2017).

Il est fondamental que l’interprète soit un professionnel formé, qui puisse retranscrire au mieux la parole de la personne, mais également les nuances, les traits d’humour, les émotions… Spécialiste des échanges verbaux, il veille à la bonne compréhension des propos des patients mais également des professionnels de santé. Le recours à un tiers non formé à l’interprétariat (parents, proche, enfants) ne permet pas le respect du cadre déontologique : fidélité de la traduction, impartialité, secret médical… Il empêche également l’abord de certaines problématiques touchant à l’intime, et le médecin comme le patient se retrouvent amputés d’une partie essentielle et nécessaire au soin.
L’absence d’interprétariat en santé conduit à des mauvaises prises en charge, des erreurs diagnostiques, la répétition coûteuse d’examens complémentaires, des traitements inadaptés voire dangereux… Ces coûts seront supportés par le patient qui souffrira d’une prise en charge de moindre qualité (et aussi des risques pour sa santé ?), mais également par le système de santé qui devra l’assumer.

Nous avons appris que le dispositif d’interprétariat présentiel ne serait plus porté par l’URPSML GE à partir de janvier 2021, et que le financement du dispositif était en question, au risque de voir disparaitre ce mode d’appui à nos prises en charge. Dans le même temps, l’ARS GE déploie sur toute la région un service d’interprétariat téléphonique ouvert à tous les médecins. Cette mise à disposition à tout le Grand Est illustre parfaitement la nécessité de l’interprétariat en santé et nous saluons donc cette reconnaissance. Son extension va favoriser l’équité pour les patients allophones, et permettre une réelle amélioration de l’accès au soin.

Néanmoins, si l’interprétariat par téléphone semble plus simple en termes de logistique, plus rapide en disponibilité, avec un accès sans rendez-vous utile pour les consultations d’urgence, il ne saurait se substituer à l’interprétariat présentiel, dans les zones où les deux sont également accessibles. Il reste un dispositif qui peut être ressenti comme froid et impersonnel, qui ne permet pas la prise en compte de la dimension « non-verbale » de la consultation. Son utilisation ne permet pas d’être dans une prise en soin optimale pour un certain nombre de consultations-clés : consultations de synthèse, consultation d’annonce, éducation thérapeutique, consultations psychiatriques, accompagnement de fin de vie, accompagnement social…

Dans ces moments essentiels de la relation thérapeutique, l’interprète, aux côtés du patient, permet la mise en confiance, par le regard, la présence soutenante, le renforcement du lien dans la relation à trois, qui se fait par les émotions, le rire, la gestuelle. L’interprète présent peut respecter les silences, les sous-entendus, les hésitations, mais également les émotions comme la peur, la colère, la tristesse, tant importantes quand on aborde l’intime, des violences vécues, des maladies chroniques… L’interprète présentiel sent quand se mettre en retrait, arrive parfois à apaiser des tensions, encourage aussi l’ébauche de la langue française, aide à trouver les mots… Il pourra, à la demande du médecin, faciliter l’explication d’un schéma ou un plan pour se rendre chez un spécialiste. Il traduit, selon les précisions du médecin, la posologie, effets secondaires, importance de l’observance d’un traitement, explique un court document, participe, par sa présence, à rassurer des parents parfois isolés, perdus, dépassés… Enfin, il est essentiel de préserver cette possibilité très précieuse d’avoir plusieurs fois le même interprète pour un même patient, afin d’avancer dans le récit, de ne pas revenir sur des choses déjà décryptées ou dénouées, de maintenir le lien thérapeutique, la relation de confiance.
Les interprètes professionnels de Migrations Santé Alsace ne disent pas autre chose : la plupart d’entre eux ont insisté pour revenir au présentiel après avoir dû travailler par téléphone du fait de l’épidémie de coronavirus.
Ce dispositif d’interprétariat présentiel fonctionne. Mieux, il permet de réduire les inégalités de santé et de respecter une certaine qualité de soins pour des consultations complexes. De plus, il reste moins cher que l’interprétariat téléphonique sans rendez-vous.

Pour toutes ces raisons, nous ne comprenons pas ce recul possible dans l’accueil des patients non-francophones. Nous souhaitons, pour leur bien, que les deux dispositifs d’interprétariat professionnel, téléphonique et présentiel, cohabitent et perdurent. Chacun a son utilité, nous sommes en capacité de choisir le mode d’interprétariat le mieux adapté selon chaque situation et besoin rencontrés. Les patients allophones subissent déjà parfois de la violence institutionnelle (parcours administratifs complexes voire incompréhensibles qui peuvent mener à des inégalités d’accès aux soins jusqu’au non-recours aux soins), ne les excluons pas davantage. Qu’ils puissent continuer à dire en quittant nos consultations qu’ils se sentent plus écoutés... La manière dont nous offrons l’hospitalité, dans nos cabinets, à ces patients vulnérables nous aide aussi à améliorer l’accueil de tous les autres.

Liste des premiers signataires de cette tribune
Dr Veena AUGUSTIN
Dr Andrée BAUER
Dr Anne BERTHOU
Dr Vincent BERTHOU
Dr Myriam CAYEMITTES
Dr Juliette CHAMBE
Dr Léa CHARTON
Dr Grégoire DE CHAZELLES
Dr Marika DESPLATS
Dr Claire DUMAS
Dr Myriam ERNST
Dr Georges FEDERMANN
Dr Aurore FICHTER
Dr Eric GERVAIS
Dr Pascale GUILLOSSON
Dr David HOLLANDER
Dr Catherine JUNG
Dr Camille LEPINE
Dr Elisabeth MEYER
Dr François MOREAU
Dr Anne MULLER
Dr Bertrand PIRET
Dr Yannick SCHMITT
Dr Patrick SPIESS
Dr Eléonore THOMASSET
Dr Pierre TRYLESKI
Dr Audrey WIESER
Dr Claire WILHELM